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Après trois ans en Calédonie, le manque de motivation pour retourner vers le fond de la corne Sud se fait sentir. C’est vrai que c’est loin ! 30 miles pour la passe de Uatio et notre site de la marche au marteau. 35 miles pour la passe de Kuaré. 2h15 minimum quand la mer est lisse, soit 4h30 aller et retour. La première année, c’était tellement magique et le moteur de la découverte si puissant que nous faisions l’aller et le retour sur la journée parfois. Puis, nous sommes passés à un rythme week-end avec camping sur les îlots Téré ou Kuaré. Et nous avons pratiquement fait toutes les passes existantes. Et j’ai l’impression d’avoir atteint le sommet avec la plongée à la pointe extrême de la Corne Sud. Si on ajoute le départ des bons copains et les années qui s’ajoutent …  

Serait-ce le retour aux basiques ? Les sorties proches de Nouméa fréquentées par tous les clubs ? Cela demande moins d’efforts. Pas besoin de se lever à l’aube, on peut trainer jusqu’à 8h30 : c’est l’équivalent de la grasse matinée sur le caillou où les gens se lèvent à 5h30 ou 6h00.

10 miles à peine pour la passe de Dumbéa.  Avec en plus les vents dominant de travers. Aussi même si la mer est formée, le trajet n’est pas une épreuve. Les vagues, même grossies par les alizées de Sud Est, soulèvent simplement le bateau pour le laisser redescendre gentiment une fois passé leur crête. Et de plus une partie du chemin est protégée par les récifs de la seiche croissant et de l’îlot Larégnère. A l’approche de la passe, il faut parfois traverser un imposant mascaret, chaos de vagues résultant de la lutte des vents et du courant. Mais c’est un signe de très bon augure : cela signifie que le courant est rentrant et que la visibilité sera bonne !  

En octobre, c’est la reproduction des mérous. Ils se rassemblent en nombre dans certaines passes (dont celle de Dumbéa) pour se reproduire en groupe. A cette époque de l’année, il est facile de comprendre pourquoi le mur qui borde le Sud de la passe a été nommé « Mur aux loches ». Les loches marbrées sont dans tous les trous. Alors comme nous sommes en plein mois d’octobre, le choix est vite fait : nous irons plonger à la passe de Dumbéa.

Sans doute attirés par la concentration de mérous, les requins gris sont aussi présents en grand nombre à cette saison. En fonction du courant, on les trouve soit sur l’éperon du récif extérieur Sud au rentrant, soit juste le long du mur au loche au sortant. Dans les deux cas, c’est toujours un moment magique. En théorie, on devrait pouvoir arriver pratiquement à n’importe quelle heure. Enfin, sauf à l’étal car la maxime est toujours la même : peu de courant, peu de vie. Et les requins semblent disparaître. Où vont-ils donc dans l’intervalle ? Nul ne le sait et il n’est pas rare de faire chou blanc.

Le rentrant sur l’éperon, c’est la promesse d’une eau transparente et d’une très belle visibilité. Heureusement, car les requins stationnent comme suspendus dans le vide parfois assez loin du récif, entre dix et 30 mètres peut être. Si le courant est fort, c’est impossible de les rejoindre, tout du moins sans consommer un peu d’air et faire un nuage de bulles, ce dont ils ont horreur. Alors ils se décalent et vous vous retrouvez seul. Il suffit de revenir se cacher sur le récif sans respirer et les voilà qui réapparaissent après quelques minutes. Le spectacle est si fascinant que l’on peut rester un bon quart d’heure sans bouger à essayer de retenir ses respirations pour se faire le plus discret possible. La vraie limite devient la lente accumulation des temps de palier actualisé par l’ordinateur. Mais pour celui qui sait patienter, c’est parfois le gros lot : un grand requin marteau comme cela m’est arrivé une fois qui surgit des grand fonds. Les gris s’écarte pour lui laissait la place, le marteau s’approche pour satisfaire sa curiosité. Cela ne dure que quelques secondes mais l’image du banc de gris et du marteau s’est imprimée dans votre cerveau.

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Papier peint motif requins

Mais il ne faut pas croire que le sortant sur le mur aux loches soit sans charme. Bien au contraire. Et surtout à la saison de la reproduction des loches. Du fonds de la passe à moins 35 mètres en passant par la  plupart des cavités du mur jusqu’à la moindre anfractuosité du plateau à moins 3 mètres, les loches sont partout. Les plus grosses se réservent les meilleures places. Elles se font tout d’abord menaçantes quand vous vous approchez, se gonflant au maximum,  puis finissent par déguerpir devant votre menace, dans un claquement de queue qui résonne comme un coup de canon.

La cerise sur le gâteau, c’est quand le banc de gris s’est stabilisé le long du mur à la petite pointe où un énorme rocher et une ancre se distinguent sur le sable du fond de la passe. Les requins sont parallèles au mur, à quelques mètres à peine et sur plusieurs niveaux. Il suffit alors de se cacher bien au fond dans une des cavités pour éviter le nuage : vos bulles se brisent au plafond et s’échappent doucement en filet de petites bulles sans trop leur faire peur. C’est une des rares occasions où l’on peut les observer de côté et avec un peu d’imagination, il semble que l’on pourrait presque les caresser. Là encore, les seules limites sont votre patience et l’ordinateur.

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Mur aux loches, caché dans une cavité

Mais ce samedi, malheureusement, non seulement il n’y a pas de courant et les requins sont nulle part. En plus tous les bateaux de club sont au rendez-vous et les plongeurs sont partout. Avec Bruno, il nous semble que nous n’avons croisé que palmes et nuages de bulles. Enfin, c’est la vie. Cécile et marc prennent leur tour dans la file pendant que nous savourons amarrés à une bouée un café à l’ombre sous mon parasol bien rouillé à force de fréquenté les embruns du lagon.

Il est bientôt midi : tous les bateaux de club sont partis ramener leurs plongeurs. Il ne reste plus que nous et nous en profitons pour grignoter un sandwich.

« Tiens regarde là-bas, un aileron en surface. On dirait un dauphin »

« Où ça ? »

« Là à trente mètres, près du mur. Cela a disparu. C’était peut-être un requin, sinon on en verrait plusieurs et plus souvent »

« Ah si, il se rapproche du bateau. »

« Oh regarde ! C’est une Manta. Il y en a plusieurs qui se suivent!! »

 J’abandonne aussitôt mon sandwich pour fouiller fébrilement mon sac de plongée, dénicher mon masque et un tuba que je trimbale justement pour ces occasions, enfiler rapidement palmes et shorty en tentant de garder l’équilibre sur un pied puis l’autre. Et c’est le moment de se laisser glisser dans l’eau sans faire de bruit. Je regarde de tout côté : rien. Alors je lève la tête hors de l’eau et Bruno m’indique une direction et une distance. J’y vais en tentant de rester silencieux et soudain, je vois une raie près de la surface.

Elle se dirige droit sur moi, la gueule grande ouverte avec ses cornes en forme d’entonnoir pour canaliser l’eau vers sa bouche. Elle est toute gonflée, la cage thoracique saillante. On pourrait presque distinguer le fond de sa gorge alors qu’elle se rapproche. Je n’ose plus respirer. Pendant une seconde, je me demande même si elle ne va pas me percuter. Mais non, elle m’a vu ou elle a senti ma présence : la voilà qui s’enfonce de quelques mètres pour me passer juste au-dessous.

 

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La tête de Goinfre (photo : Cécile Bonis)

Je fais signe à Bruno de me rejoindre. A vrai dire, il est bien inutile de se presser. Le ballet de Manta ne fait que commencer. Et si au départ, il ne compte que quelques ballerines, nous en compterons une demi-douzaine au bout d’une heure. Leur nombre semble augmenter au fur et à mesure que la marée descendante se charge en nourriture et en particules. Même Marc et Cécile auront tout le temps de nous rejoindre après leur plongée pour profiter de la représentation.

Les Mantas vont et viennent le long du mur aux loches. De peur de me laisser entrainer dans le courant, je lève de temps en temps la tête pour m’assurer de la proximité du bateau et me rassurer. Car il est difficile de ne pas se laisser hypnotiser par le  spectacle sous l’eau. Les Mantas se suivent en escadrille de deux à quatre. Elles virevoltent sur elle-même, descendant soudain en piquet vers le fonds pour remonter se caler juste sous la surface. Quelques loopings parfois s’ajoutent au mouvement. Le tout semble répondre à une logique de recherche de plancton qui nous échappe totalement, mais dessine une chorégraphie  pleine de grâce.

 

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Opéra Mantas (photo : Cécile Bonis)

Alors, je me laisse griser et gagner par l’idée d’approcher ces paisibles géantes en apnée. Quelques secondes de ventilation et c’est parti pour une première apnée. Je n’ai plus trop l’habitude et elles me semblent bien profondes. Mais avec l’adrénaline, tout se passe bien et si je remonte, c’est surtout pour ne pas prendre de risque.

  

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Après le grand blond avec une chaussure noire, le grand bleu avec deux mantas

Et puis aussi, cette fois sans toucher, mais juste à frôler de la main l’aile. Le plus impressionnant est que l’on sent la vitesse de l’eau qui circule sur l’extrados. Pas étonnant qu’elles semblent se déplacer sans effort mais avec autant de vélocité. Heureusement que j’ai de grandes palmes. Avant d’énerver tout le monde avec ma chance, je préfère conclure sur cette jolie photo.

 

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« Serrer la main à Saint Pierre » (citation de Thierry Paolucci, photo : Cécile Bonis)